L’enseignement de Yéhouda ben Péra’hia
par Dov Uzan
Yéhouda ben Péra’hia a dit : « Fais toi un rav, achètes toi un copain et juge chaque personne du bon penchant.»
Dans une première lecture il semble que le rav parle de deux sujets différents : Fais toi un rav et achète un copain parle de l’importance de l’étude de la Torah car s’attacher à un rav et à un ami sont des moteurs efficaces pour nous permettre d’avancer dans notre niveau de connaissances. Juger du bon côté semble plutôt parler de notre relation sociale avec les autres. Mais si le rav a relié ces trois données dans un même enseignement c’est qu’il y a un lien entre eux.
Nous pouvons expliquer que si une personne ne juge pas les autres avec un regard positif c’est qu’il est donc critique avec les autres, qu’il s’arrête sur chaque détail, il va ainsi finir, un jour ou l’autre, par perdre son rav et ses amis, car personne n’est parfait. Ils vont, un jour, faire une action qu’il ne jugera pas digne, à ses yeux, et les dénigrera. Et ainsi de suite, il fera avec son rav et avec ses amis, jusqu’à ce qu’un jour il va se retrouver tout seul, et va obligatoirement diminuer ses progrès dans la Torah.
Rav Itshaq Veinstein donne une autre réponse au fait de savoir quel est le lien entre ces trois données. Si une personne pense qu’elle n’a pas besoin de rav ou de copains cela signifie qu’il se croit sans défauts mais, d’un autre côté, comme nous le disent les hahamim ; « L’homme voit tous les défauts des autres personnes mais à cause de son amour propre ne vois jamais les siens. ». En se faisant un rav et en suivant les conseils de son ami, qui eux voient nos défauts, cela va nous permettre d’entreprendre les actions qui vont arranger notre caractère et mieux juger les autres personnes qui ont, finalement, comme nous des défauts.
I. Se faire un rav
Rav Yéochoua nous conseille d’avoir un rav attitré car l’homme ne doit pas croire qu’il pourra acquérir la Torah par ses propres moyens. Et même si de nos jours, avec la diffusion des livres ou grâce à internet nous avons accès aux informations qui nous intéressent et que nous pouvons ainsi nous remplir de Torah, nous ne devons pas oublier qu’il y a une chose qui ne peut s’apprendre qu’en étant auprès d’un rav : c’est la façon d’agir dans la vie et de faire correctement les mitsvot. En observant comment le rav réagit dans telle ou telle situation, avec quel ton et avec quelle gentillesse il s’adresse à chaque personne, les différents gestes qu’il fait avant et pendant qu’il fait une mitsva, Ce sont des choses que nous ne pouvons pas apprendre dans les livres. Pour cette raison les sages nous disent que servir auprès d’un rav est plus grand que l’étude de la Torah, car du rav je puise, rien qu’en l’observant, tous les enseignements de la Torah. Et même s’il n’existe pas dans ma ville un autre sage plus fort que moi, il faut quand même se rapprocher d’un rav plus petit que moi pour qu’il puisse m’aider et répondre à des questions ou problèmes trop personnels que, moi-même, je ne peux pas résoudre. Car parfois nous n’avons plus envie de trouver une réponse ou bien que nous ayons un intérêt à répondre de telle façon que cela va m’aveugler pour savoir ce qui est important pour moi et voir ce qu’Hachem attends de moi. Le rav peut également m’aider en me dévoilant des mauvais défauts que je ne pourrais pas connaitre tout seul. Le roi Chlomo a dit : « Ne sois pas sage à tes yeux, Crains Hachem. ». C’est-à-dire ne pas croire que nous pouvons nous passer d’un rav si nous voulons arriver à un vrai niveau de crainte d’Hachem.
Dans la guémara Avoda Zara il est indiqué que, pour apprendre la halaha, il est préférable d’apprendre auprès d’un seul rav mais pour l’étude en soi c’est préférable au contraire de se référer à plusieurs rabanim. Car il existe plusieurs facettes pour étudier la Torah et donc, en ayant plusieurs rabanim, nous allons amplifier nos connaissances, aiguiser notre cerveau et améliorer notre façon d’étudier, et cela jusqu’à acquérir notre propre façon d’étudier.
II.Acquérir un ami
Rabi Meir Hadoch pose la question de savoir pourquoi, une fois que nous nous sommes attachés à un rav, y-a-t-il également une utilité de s’attacher à un ami? Il répond que du rav il va recevoir la Torah mais que grâce à ses amis il va pouvoir se rendre compte de ses mauvais traits de caractères, car, s’il étudie seul, toujours face à un mur, il pourra devenir un grand savant mais il ne saura jamais s’il est coléreux, orgueilleux ou jaloux. Le contact avec d’autres personnes ou à l’intérieur d’un groupe va révéler nos qualités et nos défauts. Est-ce que je suis jaloux lorsque mon copain comprend mieux que moi ? Et à l’inverse est ce que je vais me gonfler d’orgueil lorsque je comprends plus vite et mieux que mes amis et que parfois je dois leur réexpliquer ce qu’a dit le rav ? Est-ce que je vais m’énerver lorsque mon ami va me contredire lorsque je parle ? Etc… Une autre utilité d’étudier à deux ou à plusieurs est, que par l’échange nous pouvons nous rendre compte plus facilement de nos erreurs de compréhensions à propos d’un cours ou des paroles du rav en comparant, après le cours, nos réflexions.
Egalement, lorsque nous étudions avec une ou plusieurs personnes, chacun essaye de surpasser les autres dans le domaine de la Torah en faisant preuve de suffisance ou d’orgueil, et même si l’utilisation de la jalousie n’est pas à priori le meilleur chemin préconisé, elle va aider l’autre à progresser. Pour cette raison la Torah est comparée à un arbre. De la même façon qu’un petit arbre peut enflammer un grand arbre, de même un petit sage, par ses questions ou ses réflexions, peut augmenter la sagesse d’un grand sage.
Rachi donne deux définitions des mots « faire un copain ».
Au sens étymologique – le mot kané veut dire acheter – c’est être prêt à débourser de l’argent pour s’acheter un ami pour les besoins vus plus avant.
Cela signifie également la plume. Le rav, selon ce sens, nous conseillera, pour bien comprendre et retenir notre étude, de la mettre par écrit. Il faut faire des résumés de ce que nous avons appris car lorsque nous arrivons à exprimer par des phrases claires et belles ce que nous avons appris, c’est la preuve que nous avons bien compris. Comme dit l’adage : « Ce qui se comprend bien, s’exprime aisément ».
Lorsque le rav nous enseigne qu’il faut acquérir un copain il ne s’agit pas seulement de l’étude de la Torah mais également de tous les sujets de la vie. Chacun doit avoir autour de lui un ami qui craint Hachem, avec de bons traits de caractère, car même le plus grand des sages a besoin parfois de conseils. Il nous faut faire attention, bien sûr, au choix de notre ami. Il faut vérifier au préalable que cette personne est dans la même démarche que moi : par exemple s’il est nerveux, est-ce qu’il travaille pour arranger ses traits de caractère
Un jour, un sage demanda à son fils : « Combien de copains as-tu acquis ? Le fils répondit : « 100 copains. » Le père lui rappela que lorsque rabbi Yéochoua a dit qu’il faut acquérir un copain, il fallait d’abord le tester pour savoir s’il est vraiment attaché à toi, et sache que moi, bien que je sois plus âgé que toi, je n’ai pas acquis plus de un demi copain. Comment peux-tu, toi, prétendre avoir 100 copains ? Maintenant sort et va les tester et tu verras que même un copain fidèle tu n’as pas. Dis leur que tu as des problèmes et que tu as besoins de leur aide et regarde si ils se sentent impliqué par ta peine comme si ces problèmes étaient les leur. Le fils est sorti et a entrepris de faire ces vérifications. De retour chez lui il a bien été obligé d’avouer à son père que même un copain fidèle il ne possédait pas.
Dans la guémara Taanit, Raba bar bar Hana demande pourquoi la Torah est symbolisée par le feu. Il répond que de la même façon que le feu ne peut pas s’allumer tout seul, la Torah ne peut être acquise en étant tout seul, sans avoir été étudiée avec des amis. Nous pouvons, et même il est conseillé, d’avoir un moment à soi, seul, pour répéter les choses étudiées et les mettre au clair dans notre esprit. L’intensité d’un feu allumé avec un seul bout de bois n’est pas la même que celle d’un feu allumé avec plusieurs morceaux de bois. Il en est de même pour l’étude : son intensité pour une personne qui étudie seule n’est pas la même que pour l’étude en groupe. Si un feu est allumé avec un seul bout de bois alors qu’il y a un gros vent il va s’éteindre, alors que le même feu allumé grâce à de nombreux morceaux de bois va résister au vent.
De la même façon une personne qui étudie seule va se refroidir et se renfrogné si elle rencontre des gens qui vont le contredire et cela va l’entrainer dans le doute. Alors que si nous faisons partie d’un groupe d’étude uni et solidaire, non seulement nous serons plus fort pour résister aux hésitations et aux doutes mais au contraire nous allons nous renforcer mutuellement dans nos idées et nous pourrons utiliser toutes nos forces pour défendre nos idées et les approfondir.
III. Juger chaque personne du coté positif
D’après le Ramban et Rabi Yona, juger son ami du bon côté est une mitsva positive de la Torah, comme cela est marqué: « Betsédek tichpot amitékha » (Avec justice juge ton peuple.).Rabénou Yona explique que cet enseignement concerne une personne « moyenne » qui parfois agit mal et parfois agit bien. Dans ce cas on nous demande de le juger positivement. Mais si nous avons affaire à une personne qui ne mange pas cacher ou qui ne respecte pas le chabbat, alors nous ne pouvons pas le juger positivement lorsque nous le voyons manquer de respect à la cacherout ou à chabbat. Tout au mieux je peux penser qu’il ne connait pas la gravité de ses actions.
A l’inverse un tsadik, qui se conduit en respectant toujours les règles du Choul’han Aroukh, et que nous voyons une fois transgresser une halaha, alors nous ne devons pas le juger mal car, même s’il a fauté, nous pouvons être sûr qu’avant de dormir il va faire téchouva.
Lorsque le rav nous dit qu’il faut toujours juger du bon côté, cela ne s’applique qu’aux autres personnes. Mais dès que cela nous concerne, alors cette règle ne s’applique pas car nous devons toujours remettre en question nos actions, même nos bonnes actions car il est possible que nous les avons accomplies non pas pour Hachem mais pour nos intérêts propres. Il est également possible que nous ayons oublié un détail dans l’accomplissement de la mitsva. Si nous nous habituons à agir de la sorte nous allons continuellement nous perfectionner et nous améliorer de plus en plus avec le temps.
Rabi Aaron de Belz jugeait ainsi chaque juif du bon côté ? Il disait que, de la même façon que nous réfléchissons et nous cassons la tête pour comprendre un texte difficile de Rambam ou de Tosfot, de la même façon, face à un juif qui se conduit anormalement, nous devons réfléchir pour trouver des solutions pour que cette personne puisse améliorer sa façon d’agir.
Rabi Yéochoua de Belz disait la même chose : « J’aime dans l’étude le coté réflexion car elle va ouvrir mon esprit pour bien juger » car, comme dans la vie de tous les jours, nous devons trouver des mérites et des excuses pour chaque juif. Et même si parfois cela semble impossible à faire, nous devons nous efforcer de le faire en utilisant toutes nos capacités mentales. Rabi Yéochoua de Belz témoigne qu’il ne lui est jamais arrivé de médire sur un juif en disant que c’était un renégat ou un fauteur, même sur des juifs qui s’étaient éloignés de la Torah. « Si je voyais une personne qui transgressait le Chabbat, je me disais que, peut-être, il a oublié qu’aujourd’hui c’est le jour du Chabbat, ou bien qu’il ne savait pas que cela était interdit ou même qu’il ne connaissait pas l’importance du Chabbat.
Dans la guémara Chabbat on ramène l’histoire d’une personne qui avait travaillé pendant trois années chez une autre personne. La veille des fêtes il demanda à son patron de lui donner son salaire pour qu’il puisse nourrir sa famille. Il lui demanda de lui donner des espèces. Le patron lui répondit qu’il n’en avait pas de disponible. L’employé lui demanda alors de le payer avec des terres. Je n’en possède pas. Paye-moi alors avec des fruits. Je n’en ai pas. Paye-moi avec des biens. Cela aussi je n’en ai pas. Et l’employé rentra bredouille chez lui. Une fois la fête passée le patron pris son âne, le chargea de sacs de pièces, et se rendit chez son employé. Ils mangèrent ensemble et lui paya tout son salaire des trois années. Puis il lui demanda : « Lorsque je t’ai dit que je n’avais pas d’argent : qu’as-tu pensé ? » L’employé répondit : « Je me suis dit que tu avais surement une grosse affaire qui s’était présentée à toi et que tu avais déboursé tout ton argent. ». Et lorsque je t’ai dit que je n’avais pas de bêtes, qu’as-tu pensé ? Je me suis dit que tu les avais surement louées à une autre personne. Et pour les terres, qu’as-tu pensé ? Je me suis dit que tu les avais vendues pour avoir des liquidités. Et lorsque je t’ai dit que je n’avais pas de fruits continua le patron. Je me suis dit que tu n’avais peut être pas encore prélevé le maasser (la dime de 10 %). Mais lorsque je t’ai dit que je n’avais pas de biens, qu’as-tu pensé ? J’ai pensé que tu les avais rendus eqdech (offert au temple).
Le patron dit alors : « Cela s’est passé exactement comme tu as pensé. ». L’employé était Rabi Akiva et le patron était Rabi Eliezer ben Onkenos. Juger positivement est une résultante de l’amour d’Israël. Si une personne a l’amour d’Israël il lui sera facile de juger positivement les autres.
Il est marqué que chaque personne qui juge positivement son prochain sera également jugé positivement par Hachem. La question posée est : Si nous pouvons comprendre que nous devons juger favorablement notre prochain car nous ne connaissons pas les vraies raisons qui l’on poussé à agir comme il l’a fait et que nous pouvons alors trouver des arguments en sa faveur, mais alors comment comprendre qu’Hachem, qui connait tous les détails de notre vie et de nos actions et de tous ce que nous avions dans le cœur au moment où nous agissions, puisse nous juger positivement lorsque nous avons mal agit ? Est-ce un mensonge ? De la même manière, dans les 10 jours de pénitence entre Roch Hachana et Kippour, nous demandons à Hachem de nous inscrire dans le livre des mérites. Hachem, qui est un juge de vérité, doit alors vérifier si nous avons des mérites et qu’il peut nous inscrire alors dans le livre des mérites. Mais si nous n’en avons pas, nous inscrire serai alors une erreur. Peut-on imaginer une personne qui serait débiteur à la banque et qui irai demander à son banquier de lui créditer son compte ? Oser poser cette question est déjà difficile, mais si le banquier accepte alors ce serait incompréhensible.
Dans chaque action que nous faisons il y a des points positifs et des aspects négatifs. Si nous même nous ne regardons chez les autres que les points positifs, à plus forte raison Hachem cherchera chez nous les points positifs, et cela même si nous avons mal agit, et ce n’est pas un mensonge, au même titre que nous pouvons voir plusieurs facettes à un objet selon l’angle où nous l’observons Celui qui l’observe de haut n’aura pas la même impression que celui qui regarde le même objet par le bas. Il en est pareil pour une action : Il y a plusieurs visions de cette même action et donc on prie Hachem de jeter un regard méritant sur nos actions et qu’elles puissent être inscrites dans le livre des mérites.