HistoiresItshak Nabet

Le «Ma’hatsit Hashekel»

par Itshak Nabet

Dans la paracha de Chelakh que nous lirons en Israël, la Torah nous raconte la faute des explorateurs. Ces Tsadikim qui visitèrent la Terre Sainte, en firent un effroyable tableau. Leur faute, expliquent nos sages, est qu’ils virent Eretz Israël avec un mauvais œil. Ils ne cherchèrent pas à bien interpréter, les images qu’ils analysèrent. Or, lorsque nous regardons des situations de façon superficiel, nous pouvons arriver à de graves erreurs comme l’illustre cette histoire tiré du Maguid parle :

C’était un mariage splendide… Les plus grandes personnalités rabbiniques qui s’étaient déplacées pour honorer aussi bien la famille du ‘hatan que celle de la kalla se trouvaient à présent réunies autour de l’immense table d’honneur. Le Ketav Sofer soi-même avait tenu à participer à l’événement, et c’est lui qui avait célébré les kidouchin.

Le repas s’achevait. L’un après l’autre, les distingués Rabbanim furent appelés à prendre la parole. Un silence respectueux se fit lorsque le Ketav Sofer se leva :

« Mes chers amis, déclara-t-il après avoir chaleureusement béni le jeune couple… En l’honneur du ‘hatan et de la kalla, j’ai apporté une surprise…Je suis heureux de pouvoir vous montrer un objet aussi rare que précieux : un authentique «Ma’hatsit Hashekel» ! Vous verrez qu’il s’agit d’une véritable pièce, extrêmement rare, qui date de l’époque du deuxième Temple… »

Le Ketav Sofer ouvrit l’écrin qu’il avait soigneusement gardé sur lui…Et la pièce apparut. Ce fut un concert d’exclamations…

« Je vais faire passer la pièce pour que chacun puisse l’admirer », déclara le Ketav Sofer, heureux de l’effet produit par sa surprise.

Il remit la pièce au ‘hatan et celui-ci, après l’avoir dûment tournée et retournée pour l’admirer, la fit passer à son voisin. Les conversations avaient repris et portaient à présent sur le sujet évoqué: Le «Ma’hatsit Hashekel»: de quel métal était faite la pièce, quelles inscriptions elle pouvait éventuellement porter, quand s’appliquait cette mitsva, à quoi étaient destinées les sommes ainsi ramassées, etc. Chacun voulait voir la pièce, l’admirer, la revoir pour vérifier un détail ou un autre.

Le Ketav Sofer se laissa aller contre le dossier de son siège. Il était satisfait d’avoir apporté une note de joie imprévue au mariage… Quelqu’un vint interrompre le cours de ses pensées pour lui poser une question sur le fameux «Ma’hatsit Hashekel». Puis un autre…

Le temps avait passé, se rendit soudain compte le Ketav Sofer. Il était temps de récupérer la précieuse pièce. Elle avait probablement fini de faire le tour de la table. Un coup d’œil jeté à la ronde ne lui fournit pourtant aucun renseignement. Les convives mangeaient ou discutaient avec animation, mais personne ne semblait occupé à regarder la pièce. Le Ketav Sofer se leva et frappa discrètement sur la table pour faire le silence.

« Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, demanda-t-il, je voudrais à présent reprendre ma pièce.»

Personne ne bougea. On attendit quelques instants, et le Ketav Sofer réitéra sa demande. On l’entendit, cette fois-ci, très bien: un silence total s’était fait, et l’orchestre avait suspendu sa musique.

Mais cette fois-ci non plus, personne ne se leva pour remettre la pièce à son propriétaire.

Un silence gêné s’était établi.

« Mes amis ! Je demande qu’on me rende la pièce ! »

Toujours le silence.

« Je suis désolé, reprit le Ketav Sofer d’une voix légèrement hésitante, mais je vois que je n’ai pas le choix : ce«Ma’hatsit Hashekel» est une pièce extrêmement rare, et j’y tiens ! Je suis donc obligé de demander à chacun d’entre vous de bien vouloir vider ses poches… La pièce s’y est peut-être glissée par mégarde. »

Un silence glacial s’était fait… Quelqu’un avait peut-être pris le «Ma’hatsit Hashekel» ! C’était impensable! Cependant, il fallait bien qu’il fût quelque part… Il ne s’était pas envolé. Mais fouiller des Rabbanim ?…

Le Ketav Sofer s’était levé et s’apprêtait à retourner ses poches pour s’assurer que la pièce n’y était pas revenue, lorsqu’un des Rabbanim, une personnalité connue pour son savoir et sa grande piété (certains prétendent qu’il s’agissait de l’un des grands de la génération, Rabbi Yehouda Assad), se leva :

« Si Le Ketav Sofer n’y voit pas d’inconvénient, demanda-t-il, je voudrais qu’on attende d’abord une demi- heure.. »

Les convives respirèrent un peu plus librement. Rabbi Yehouda supposait sans doute que le «Ma’hatsit Hashekel» serait retrouvé entre- temps… Il éviterait à chacun l’embarras de devoir fouiller ses poches en public.

Le Ketav Sofer, évidemment, ne pouvait qu’accéder à la demande d’une personnalité telle que Rabbi Yehouda, et accepta d’attendre. On apporta le dessert et le repas de noces se poursuivit.

Mais le temps s’écoula sans que le «Ma’hatsit Hashekel» ne réapparaisse.

« Rabbotaï! annonça encore une fois le Rabbi en se levant. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi, mais je vous prie de m’accorder encore un quart d’heure, un seul ! Ne me posez pas de questions… »

Cette fois-ci, un brouhaha confus s’éleva. Qu’attendait Rabbi Yehouda ? Espérait-il un miracle ?

Mais Rabbi Yehouda était une personnalité si respectée qu’il fallait bien tenir compte de ses désirs, et l’attente reprit, tendue cette fois.

Quelques minutes à peine s’étaient écoulées qu’un serveur fit irruption dans la salle, au comble de l’émotion. Il courut jusqu’au Ketav Sofer et, triomphalement, déposa devant lui le fameux «Ma’hatsit Hashekel»

Que s’était-il passé? La pièce, expliqua-t-il, venait d’être retrouvée dans les ordures! Quelqu’un l’avait probablement posée sur la table à l’attention de son voisin, qui ne l’avait pas remarquée, et elle avait été emportée par le serveur avec les déchets… Un miracle qu’elle ait été retrouvée !

Tous les regards se tournèrent alors avec admiration en direction de Rabbi Yehouda. Comment avait-il deviné qu’un miracle allait se produire? Et pourquoi avait-il demandé d’attendre?

Au lieu de répondre, le Rav introduisit sa main dans la poche de sa redingote et en retira…un «Ma’hatsit Hashekel», en tous points identique au premier ! Vrai lui aussi !

« Je peux vous le dire à présent, expliqua-t-il: moi aussi, j’avais sur moi une pièce d’un «Ma’hatsit Hashekel». Mon intention, en l’apportant, était la même que celle du Ketav Sofer : réjouir le cœur des jeunes mariés et de leurs convives en leur montrant cette pièce unique ! J’ignorai que le Rav de Presbourg en possédât une également. Lorsque je vis la joie qu’il éprouvait d’avoir apporté une note de gaieté à la soirée, je décidai de ne pas lui gâcher son plaisir en avouant que je possédai une pièce semblable, et je conservai la mienne dans ma poche sans en parler à qui que ce soit…

Imaginez ce qui serait arrivé si j’avais vidé mes poches! Comment aurais-je pu me justifier ? Qui m’aurait cru ? Quel ‘hilloul Hachem cela aurait provoqué!

« Ribono chel olam, ai-je prié, ne m’inflige pas cette honte! Empêche ce ‘hilloul Hachem ! Fais en sorte qu’on retrouve la pièce et qu’on ne m’accuse pas de l’avoir dérobée… »

Lorsque la pièce n’a pas été retrouvée tout de suite, j’ai demandé un nouveau délai. Encore une fois, de tout mon cœur, j’ai prié D. de m’épargner d’avoir à me justifier d’un crime que je n’avais pas commis, mais qu’il me serait pourtant impossible d’expliquer. »

« Juge chacun du bon côté » nous disent nos sages ! Même quand toutes les évidences semblent designer le coupable… Il est souvent des circonstances ou des détails qui nous échappent, et la vérité n’est toujours aussi évidente que nous le supposons…

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