La bénédiction du Rabbi
Comme vous le savez, nous parlons beaucoup, dans la paracha Toldot, de l’importance de la bénédiction. Ainsi, Yaacov avinou risquera sa vie pour bénéficier des bénédictions de son père Itshak avinou. De même, lorsque nous nous trouvons confrontés à des difficultés, nombreux sont ceux qui placent leur confiance dans la bénédiction des Tsadikim… et qui sont sauvés comme le fut ce bon Mendel.
Notre histoire se passe en Roumanie, il y a un peu plus de cent ans. Mendel est un colporteur juif. Son sac sur l’épaule, il se rend d’un village à l’autre pour acheter et vendre sa marchandise. Malgré la difficulté de ce métier, les heures de marche et les dangers de la route, il traverse les villages de la région avec joie. Etant un fervent Hassid du Rabbi de Vizhnits, il essaie de se rendre, plusieurs fois par an, à Grossvardein. Chaque fois qu’il passe par un des villages voisins, il fait le détour pour se voir gratifié d’ une bénédiction de son Rabbi. Celui-ci lui souhaite en générale une longue vie pleine de Torah et de réussite matérielle.
Cependant, cette fois-ci, il en fut autrement. Mendel donna son petit papier rempli de demandes personnelles. Le Rabbi jeta un coup d’œil sur la feuille et, après quelques secondes, il lui déclara: » Qu’Hachem te sauve des non-juifs. » Mendel sortit de la chambre de son rav, troublé. Pourquoi cette étrange bénédiction? Hélas, il était déjà parti. Il n’avait pas osé demander plus de détails. Il reprit la route et commença, au fil du temps, à oublier cette bénédiction.
Plusieurs semaines passent. Mendel s’approche de Nyékolouch, un village roumain isolé des villes. La chaleur de l’été rend difficile sa route. Il est assoiffé et son corps lui demande de se reposer. Mendel passe de maison en maison pour récupérer l’argent qu’on lui doit. Il frappe chez Clio, un villageois redevable d’une lourde ardoise.
» Mendel, comment vas-tu? » S’écria Clio en le voyant. « Ne t’inquiète pas: je ne t’ai pas oublié. J’ai presque tout ce que je te dois. En revanche, je dois encore chercher la dernière partie chez un de mes amis demain matin. Veux-tu rester cette nuit chez moi? Regarde-toi: tu as l’air lessivé! » Mendel commença par refuser. Mais la fatigue l’encouragea à accepter. « Tu dormiras avec mon fils Nicolas, dans la grange. Je vais t’installer du foin, et demain matin ton argent sera prêt. »
Après avoir fait la prière du soir, Mendel prit un petit repas et s’allongea. Et, pour la première fois de sa vie, il ne trouva pas de sommeil de suite. Il se tourna de tous les côtés, mais rien n’y faisait. Une heure était déjà passée et il ne dormait toujours pas. Sur la botte de paille, en face de lui, Nicolas ronflait tranquillement. Encore une heure avait défilé et les yeux de Mendel ne se fermaient pas. » Si cela continue, je n’aurai pas de force pour travailler demain. Il faut absolument que je dorme un peu! » Soudain, il se rappela un enseignement de nos sages: » Celui qui change d’endroit change de destin. »
Il tapa sur l’épaule de Nicolas. Celui-ci se réveilla en sursaut: » Qu’est-ce qui se passe, t’es fou ou quoi? »
– Je n’arrive pas à dormir. Est-ce que cela te dérange d’échanger ton lit avec moi?
-Parce que ne tu dors pas, tu dois me réveiller?
-Allez, sois gentil, mon lit est meilleur que le tiens!
Nicolas ronchonna mais accepta. Un instant plus tard, il ronflait de nouveau. Mendel essaya de nouveau de dormir, mais sans succès. Il décida alors de reprendre la route vers le village voisin. » Demain, j’aurai le temps de collecter l’argent qu’on me doit. »
Mendel n’est pas le seul à être insomniaque. Clio se tourne depuis des heures dans son lit. » Ce juif n’a pas honte de venir me réclamer son argent alors qu’il est plein aux as! Il a dû collecter en une journée, dans le village, des centaines de lei. » Soudain, avant l’aurore, il se lève de son lit et commence à chercher quelque chose dans la maison.
» Que fais-tu, Cléo? » Lui demande sa femme.
– Je cherche mon couteau pour me débarrasser de ce juif.
-Qu’est-ce que tu racontes? Tu ne vas pas faire ça! C’est un gars honnête, tout de même…
-Ecoute, j’ai déjà tout prévu! Je vais brûler son corps et, avec l’argent, on vivra comme des riches. »
Il se dépêche de se glisser vers la grange. Dans l’obscurité de la nuit, il plante de toutes ses forces le couteau dans le corps de celui qui dort sur la paille. Après quelques minutes, il tire le cadavre hors de sa grange. A la lumière de la lune, il voit soudainement le visage de l’homme qu’il vient d’assassiner.
« Nicolas! Crie-t-il de toutes ses forces. Qu’est-ce que j’ai fait? » En entendant ses cris, sa femme se précipita et découvrit son fils gisant dans son sang.
Mendel marche sur la route, ignorant tout du drame qui vient de se dérouler.
» Arrêtez-vous! Que faites-vous ici au milieu de la nuit? » entend-il brusquement. Deux gendarmes armés chargés de la garde des villages le somment de s’immobiliser. Mendel a beau leur raconter sa nuit blanche, les gardiens ne le croient pas.
-Tous les voleurs disent la même chose! D’où venez-vous?
-Du village de Niyakolouch.
– Très bien, allons- y pour voir à qui appartient ce qu’il y a dans ton sac.
Les hurlements de Clio et de sa femme se font entendre loin de chez eux. » Ah, voilà ceux qui se sont fait voler. » Dit l’un des gendarmes à son collègue. Lorsqu’ils s’approchent, ils entendent plus clairement les cris des deux villageois.
-Je t’avais dit de ne pas faire de mal à ce juif! Crie la femme désespérée. Regarde ce que tu as fait, assassin! Tu as massacré ton fils de tes propres mains! »
-Tais-toi donc! Hurle Clio. J’ai pas fait exprès! Maintenant, si la police apprend ça, elle va me jeter en prison. On va dire à tout le monde que le colporteur juif a assassiné notre fils et à pris la fuite. »
Les deux gendarmes se regardent l’un l’autre. La situation est claire: l’identité du coupable ne fait aucun doute. Ils pénètrent dans la maison, se saisissent de Clio et le battent jusqu’à ce qu’il avoue une deuxième fois son crime.
» Monsieur, vous avez eu de la chance! Disent les gendarmes à Mendel. Si vous ne nous aviez pas rencontrés, vous auriez été inculpé de meutre! »
Mendel aurait voulu leur parler du Rabbin responsable de sa « chance », mais les gendarmes ne font pas partie des hassidim de Vizhnits… La bénédiction du Rabbi résonne encore dans ses oreilles:
« Qu’Hachem te sauve des non-juifs. »
Inspiré du livre « Tu raconteras Ses merveilles » tome 3